La destinée des marins de l'abîme !
A travers la destinée extraordinaire des vainqueurs du Vendée Globe en un temps record, on n'imagine pas les efforts et la volonté humaine pour traverser les océans à un rythme fou dans des conditions de mer intenses. La peur aux trousses, ils ont affronté des tempêtes et des vagues hautes de 7 mètres comme des scies électriques en action, des coulées de neige, des avalanches de pierres, des crêtes d’écumes de mousse dentelée, des pics aiguisés et coupants, des mâchoires de requins, des reliefs dénudés hideux à perte de vue. Surtout avec des bateaux surpuissants - à foils pour les champions - qui ne sont pas faits pour se battre avec des vents de 40 nœuds alors que d’après Michel Desjoyaux, ces bateaux sont conçus pour aller plus vite avec 25 noeuds de vent maxi.
Quand on lit les communiqués de presse qui relatent la course dans un style plus littéraire que marin avec de bons jeux de mots digne d’Audiard, on éprouve un sentiment de frayeur face aux grandes émotions des skippeuses et skippers. La voile est un des seuls sports où les femmes s'affrontent avec les hommes dans une même course. Tous ensemble s’y retrouvent à l’aspect primitif. A égalité de chance. Et oui, c’est impensable à notre époque moderne de rechercher ce dénuement comme au temps de la préhistoire. Les vieux briscards du Cap Horn s'en réjouiraient dans leur bière. Beaucoup ne comprennent pas le secret de ces marins fous plus que sages. Çà nous donne des frissons. Il faut avoir une volonté d'acier, une curiosité de l'inconnu, une force interne, une animosité vorace comme une catapulte qui accomplit une besogne de Sisyphe. Tous les jours, se poser la question : mais qu'est-ce que je fous là ? C'est un résultat de fourmi comme être dans une boite à surprise. Elles (et ils) ont du sang de loup pour résister au temps et au labeur de misère. C'est quand même fou de déranger le sort, c'est du génie. Avant de commencer une partie, le joueur regarde son jeu. Le bon skipper (skippeuse) fait de même. Quand le jeu est lancé, il faut se prendre des coups, avoir des ecchymoses, ne pas craindre les égratignures, les bobos comme si on connaissait la ruse pour déjouer la mer et le vent du grand sud. La femme ou l’homme n’a aucune hospitalité à attendre de l’océan. Seuls, l’oiseau et le poisson sont prévus pour la mer. Le premier obstacle, c'est de tenir le bateau dans son chemin sans se laisser dévier par les vagues comme de véritables dents de gencives. Sans cesse, le ciel et la mer bavent une encre noire sautant plus haut que l’étrave. Les écubiers recrachent l’écume à la mer. Le sel reste collé à la bouche. Les crachats de la houle s’y rajoutent. Même les nuages sont inquiétants comme un dragon dans la nuit et menaçants comme la lèpre. Jamais la conduite à tenir n'avait été plus clairement indiquée à un bon esprit. Ils ont des moyens modernes pour résister à l'assaut mais ce n'est pas suffisant. Avec l'aide du pilote automatique, tracé le droit chemin sur une route cahoteuse, avec l'aide des instruments, joué avec la météo pour dévier les trajectoires trop risquées, avec l'aide de l'hydraulique, réglé les grandes surfaces de voile, avec l'aide des équipes techniques, réparé le bateau qui fuit. Un vrai défi de la nature. Tout çà, n’a aucun sens pour le commun des mortels. Pourquoi se faire mal. Excepté le plaisir de se surpasser, de vaincre la gueule du gouffre, de montrer au monde sa force, de se convaincre du meilleur pour le pire. Savoir ce qu'ils affrontent dans l'enfer des océans est alarmant pour nos esprits terriens, mais l’ignorer est terrible. Il faut des gens comme eux pour nous faire rêver. Mais surtout pour nous montrer le chemin à suivre pour ne pas se cantonner dans notre routine, s'investir dans un projet de dingue, se réaliser par soi-même, abandonner le quotidien trop riche en futilité, retrouver un sens à la vie, manger à sa faim, découvrir un monde primaire, aimer les choses simples, partir en exil. Combattre le danger inconnu. Chacun sa destinée.