Ma régate de rêve sous les tropiques
A la dernière minute, je suis invité à naviguer sur Luinajets Aleph Sailing Team. Le seul bateau Français engagé dans un "World Championship tour 44Cup". Depuis un semi rigide, je grimpe difficilement à bord du joli RC 44 tricolor dont les lignes d’eau sont hautes et droites. Nous sommes le jeudi, deuxième jour de course, au 2 eme round pour un race fleet (parcours banane). L’équipage ( poids maxi de la jauge monotype 680 kg) est 100 % gaulois à contrario des autres nations qui ont engagé des marins professionnels de toutes nationalités à l’exception du bateau russe. Depuis 2011, le Nantais Mathieu Richard, qui a commencé sa carrière en optimist à Angers, membre de l’équipe de France de Match racing, plusieurs fois deuxième sur le podium du World Match Racing Tour en 2007 et vice champion en 2010 et qui, en cette année de réussite, veut entrer dans une nouvelle phase de sa carrière en vue de remporter le mondial. Avec lui, ses équipiers habituels Greg Evrard, Thierry Briend, Olivier Herlédant et Yannick Simon qui mènent de front les deux projets : le RC44 et le World Match Racing Tour. Aujourd’hui, Lunajets Aleph sailing team est barré exceptionnellement par Pierre Eric Detroyat de la famille du propriétaire. Comme pour le RC44 du team Artemis, je suis posté sur la jupe derrière les deux barres en carbone. Mon unique rôle : faire du rappel. Immédiatement, Mathieu, excellent tacticien et très concentré, me donne quelques règles à respecter « Tu ne dois pas bloquer le bout vert, derrière toi, c’est le trimmer ». Un appendice de réglage qui se trouve en arrière de la quille de 2200 kgs et qui permet de mieux remonter au vent. Puis Mathieu s’exclame « C’est quoi çà » en s’adressant à Thierry Briend en regardant la base carbone qui retient la bastaque et, qui s’est ouverte d’un bon centimètre. Sur son visage fin et crispé, il me transmet son inquiétude et la réparation de la veille qui a laissé des traces semble leur jouer un mauvais tour. En effet, dans la dernière manche du mercredi, son RC44 a été éperonné par les Suédois au niveau de la jupe et du tableau arrière bâbord. Le bateau a failli rester à quai mais dans le règlement « Gentlemen’s agreement » de la série, tout est mis en œuvre immédiatement pour que le bateau reprenne le départ. La veille, le patron du team Suédois qui a percuté le bateau Français a sommé son équipe d’aider les Français à réparer le bateau même s’il faut y passer la nuit. De même, Russels Couts est venu vérifier la réparation au petit matin « dans cette série, on fait tout ce qu’il faut pour aider un équipage. Le RC44 qui fait la faute offre les services de son team technique pour ne pas laisser un bateau à quai. J’y veille car c’est l’esprit que j’ai voulu donner à la classe ». Russell Coutts est vraiment impliqué dans cette série. Je scrute les dégâts cachés par la réparation qui a été faite jusqu’au petit matin dirigée par l’équipe Hongroise du Chantier Pauger carbon composites qui utilise du pré imprégné. Le RC44 est construit en infusion développée en SP Systems. De la haute technologie tout en carbone dont le cout est estimé à plus de 500 000 euros par bateau. Un vrai petit bijou. Enfin, quelques minutes avant de prendre le départ, sur le bateau Français, le spécialiste technique donne un avis positif après avoir inspecté les fonds au travers d’une multitude de palans fins comme une toile d’araignée à l’intérieur du bateau. D’un signe de tête qui veut dire OK, Mathieu Richard se lève sans faire de bruit et chacun reprend sa place. A bord, Greg Evrad laisse filer la Grand Voile et le génois fasseye en grand. On est déjà au contact avec la flotte. Je prends conscience que le RC44 est vraiment sportivement attractif, physique et dynamique. On prend un départ canon ! Le bateau va plus vite que les autres. Il est puissant. Dans un bref élan, Mathieu Richard qui a bien géré sa stratégie fait un mouvement rotatif pour se mettre au rappel devant moi comme un acrobate suspendu à son trapèze à l’instar de tout l’équipage pour gagner encore plus en performance sauf le barreur, qui suit les conseils de Greg et le manage pour optimiser leur cap. Je regarde le plan de voilure sans doute au maximum de la surface possible. Le RC44 a une bonne raideur à la toile et il est très stable en route. Il y a peu d’écart de vitesse entre les bateaux et, comme en match race, je suis sous le charme des beaux croisements des RC44 que je peux admirer sans géner. Un virement de bord puis un deuxième du côté gauche du plan d’eau dans une petite risée nous donne un avantage sur le RC 44 (GBR1) Peninsula Petroleum Sailing team et du RC44 Bombarda Racing Team (ITA42). Mathieu Richard fait d’une pierre deux coups pour prendre l’avantage sur les deux bateaux. Il consulte ses marques de compas, s’agite devant moi, tourne la tête de tous les côtés. On vire une nouvelle fois avant la lay line pour faire route directe vers la première marque du parcours que l’on passe en deuxième position juste devant un regroupement générale de la flotte. Les gennakers de 170 m2 sont hissés à une vitesse surprenante depuis la colonne de winch grâce à deux équipiers super entrainés qui moulinent en force alors que Jean Baptiste Macon peaufine l’articulation du bout dehors qui permet de mieux gérer l’orientation du Gennaker. Je n’ose pas bouger. Les 13,35 m du RC44 accélère pour atteindre rapidement 13 nœuds. Face à face avec moi, Mathieu Richard fronce les sourcils et reste concentré sur la tactique pour tirer le meilleur parti de son avantage. Ca se joue à peu de chose mais je sens comme une menace inexprimée sur le plan d’eau. Tout tourne autour de sa décision. Pour moi, c’est un mystère. Il observe les nuages et Il ajuste nerveusement ses lunettes blanches car le soleil brille fort sur la mer. Il sait qu’il suffit d’une risée à gauche pour perdre quelques places. Quelle sensation de vitesse du RC44 et je profite de ces instants de béatitude en regardant ce beau sillage au ras de l’eau. Un coup d’œil sur sa position et sur la marque du parcours pour optimiser son VMG avant de lancer : On vire dans 3 longueurs. Une fois de plus, j’éprouve un sentiment de fierté national de me trouver avec une équipe française en tête de la course. On arrive à la bouée en 2 eme position et d’un air conquérant, j’avale ma salive pour reporter mon attention sur les réglages du bateau. Au cours de cette dernière remontée au prés, je suis en admiration devant cette fabuleuse machine à repousser les limites du gain au vent. Loin à droite, devant Prickly Pear, une îles aux plages d’or qui délimite notre parcours, le RC44 Team Aqua (GBR 2041) mené par Cameron Appleton (NZL) a profité d’une pression plus forte et après notre empannage à la bouée, on passe en 4 eme position. Au même moment, le team Nika de Russell Coutts explose son Gennaker. Rien n’est perdu, dans la dernière descente sous Gennaker, Mathieu Richard met le pressing sur son équipe mais Team Aqua (GBR 2041) prend l’avantage sur un empannage pour s’octroyer la victoire finale devant Peninsula Petroleum Sailing team. Le propriétaire John Bassadone fait ce petit commentaire sur le quai après la course « Nous avons juste gardé notre calme et profité de tous les petits avantages sur l’eau pour gagner quelques secondes à l’arrivée ». Rassuré, les Français vont gagner la dernière manche du dernier jour. Pour moi, l'expérience vécue à bord de cette belle régate sous les tropiques est ancrée dans ma mémoire 10 ans après.