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Publié par Roldan

Depuis des siècles, les marins sont superstitieux. Ils pensent que certaines situations ne sont pas dues au hasard : les pires rencontres avec du mauvais temps, la mauvaise capture de poisson, les naufrages ou abordages, la panne de moteur face au courant dans le chenal, le navire encalminé avec panne sèche, accidents et décès en mer. Et puis, encore aujourd'hui, il y a des moments moins graves où rien ne va. On a l'impression que se cache un petit diable qui nous joue des tours. "On ne trouve plus le tire bouchon, il y a un noeud dans une drisse, l'orteil qui se coince dans le taquet, une petite fuite d'eau impossible à détecter..  des petits détails qui peuvent nous mettre en colère pour un rien.

Les marins pour éviter ces tracas en mer se sont inventés des tabous souvent liés à la religion. Il ne faut pas dire lapin à bord car il est associé au démon. Il risque de se propager à bord et comme dit la chanson de Renaud " dés que le vent soufflera, nous nous en allerons de lapins... en référence à cette superstition.

D'autres petits démons à bord se manifestent en douce si on n'a pas pris la précaution de mettre des parades. Il ne faut pas afficher les chiffres 1, 4 et 7 sur la coque du bateau sinon gros malheur en mer. Surtout le chiffre 13. Il ne faut pas embarquer un prêtre à bord. Il porte la poisse. Jamais siffler sinon le petit diable fait gronder les tempêtes alors les marins chantent à bord. Important, ne pas quitter le port un vendredi c'est à coup sûr un naufrage en vue. Il ne faut pas trinquer à bord car le bruit des verres attire le vent alors les marins se cognent poing contre poing. Malheureux, on ne dit pas corde sur un bateau car elle servait à pendre les mutins alors on dit "bout". Mais alors le must du must, surtout ne pas renommer un bateau sans couper le macoui pour conjurer le sort. Une belle aubaine pour le petit diable...  Et il y a bien d'autres choses à conjurer pour éviter le pire en mer.

Malgré toutes ces parades, le petit diable trouve toujours une connerie à faire. Comme disait Baudelaire, la plus belle ruse du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas. Et pourtant, il agit en mer dans le silence de la mer infinie loin des tracas terrestres.  

Je peux vous citer d'autres ruses encore plus énervantes parce que ce petit démon se cache partout si on le réveille. Et c'est toujours dans des situations délicates qu'il agit en douce. Il est sournois et maléfique. Son petit jeu agace et il est content de nous mettre en colère. Mais comme Baudelaire disait aussi .. Homme libre, toujours tu chériras la mer. Et pan pour le petit diable qui peut toujours nous casser les pieds, il n'aura pas le dernier mot.

Revenons à nos moutons. En navigation, même par beau temps, le petit diable dresse son théâtre tranquillement. Il agit toujours quand on ne s'y attend pas. C'est un malin. Et on assiste à un élément de désordre incontrôlable. Par exemple, un spi qui s'enroule autour de l'étai ( un cocotier comme on dit) et on peste pendant 1 heure en sueur à le dérouler, une écoute de génois qui ne file pas et qui se coince dans le réa sans prévenir, la barre qui se bloque au moment d'une manoeuvre, la bôme qui empanne sans prévenir sur une grosse vague imprévisible, une ligne de pêche qui s'enroule à nos pieds et il faut trois plombes à défaire les noeuds... A bord, ce genre de galères agit comme une puissance négative. C'est surtout agaçant mais on s'y accommode parce que c'est comme çà.  

Laissez moi vous raconter une histoire.. comme disait Steeve Job. En pleine mer, par beau temps, je navigue au prés au petit matin à l'Est des Glénans tout seul sur un bateau de régate bien préparé et bien en ordre de marche. A la barre, j'admire à l'horizon ce bel alignement des autres voiliers au vent. Une belle journée s'annonce. J'apprécie ce moment de solitude parce qu'on apprend à se redécouvrir. Les couleurs du ciel sont magnifiques et une vraie douceur de l'air s'en dégage. Je file à six noeuds et je pense que je dois me situer dans les premiers de la régate. Je me laisse bercer par la douce houle de l'atlantique les yeux brillants de bonheur. Ça ne va pas durer. Un bateau à moteur d'une dizaine de mètres surgit devant moi comme un fantôme sur l'eau. Je ne l'ai pas vu venir. Je ne vois aucun signaux à son bord qui me dit qu'il est en pêche. Il est pile poil dans mon axe d'étrave. Je pousse la barre à tribord de quelques degrés pour passer dans son cul tout en réglant mes voiles au plus juste. Et puis dans mon arrière, je devine à peine une série de petits catamarans au ras de l'eau cachés par la houle tres loin derrière le bateau à moteur. Un doute s'installe. Et là, devant moi, une fine amarre presque invisible tendue d'au moins 100 mêtres entre le bateau de pêche et les petits catamarans qui me barre la route. En quelques secondes, tout le petit train de catamarans s'enroule autour de mon bateau. J'essaie de ne pas céder à la panique. Il s'est passé une demi heure, peut être davantage, lorsque j'arrive à me sortir du piège. Trop heureux sur mon bateau, il a fallu que le petit diable trouve une belle ruse pour m'empêcher de naviguer me faisant perdre tout mon avantage sur les autres voiliers.

Alors, petits marins, méfiez-vous du petit diable à bord qui ne manquera pas de vous enquiquiner...     

 

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