Un jour au salon Nautique !
Je me lève à 6 h du matin en ce mois de décembre 2022 pour attraper le train Ouigo de Paris. A l'heure pourtant un jour de grève, une fois installé à la place 23, le train roulant dans un décor embrumé par un épais voile blanc, laissant défiler une rangée de poteaux électriques de parts et d'autres de la voie surchargée de dizaines de petits oiseaux bien alignés comme à la parade, je me laisse aller dans un rêve en solitaire sur l'océan à bord d'un bateau pleine balle dans une quiétude paradisiaque comme un albatros qui joue avec les vagues. Si je vous dis que le bruit des rails ressemblait à un ronronnement régulier d'un bateau à moteur conduit par une belle espagnole avec un grain de beauté sur le coin de son visage, des yeux magnifiques et une allure de star. Vous me croyez? Grossse déception quand, réveillé par une main qui se pose sur moi, c'est un contrôleur vouté, bien français, au visage fripé et antipathique, qui me lance " billet SVP".
A mon arrivée à la gare, c'est un autre voyage qui m'attend. Celui d'un métro bondé, sale, bruyant, sinistre qui me propulse comme un animal en cage jusqu'à la porte de Versailles. Et surprise, devant le hall 1 du salon, je retrouve le même vendeur à la sauvette de billets de salon à 10 euros que les autres années. Il n'a pas changé. J'ai l'impression de l'avoir quitté hier. Son visage sombre, basané, petit et dégingandé, environ 50 ans avec sa casquette NY coincée jusqu'aux oreilles et ses chaussures vernies, s'active sur le trottoir autour des passants. Il m'a fait penser à un acteur de cinéma américain vendeur de journaux. Sans lui, je n'aurais pas vu l'entrée de salon qui d'habitude se pare d'une grande enseigne de 8 m de long " salon nautique de Paris ". C'est le temps des budgets plus serrés étant donné que la crise de l'électricité bat son plein et que les conséquences de la guerre en Ukraine frappent directement les entreprises. L'air est fripé et froid alors que je marche vers la descente qui mène au hall 1 en écrasant les feuilles d'automne qui frémissent sous mes pas. Je passe les contrôles pour découvrir enfin la Mecque du nautisme, la grand messe de l'année, le centre du monde, des sourires au service de la beauté, des bateaux finement exposés dans une douce lumière basse tension imitant l'océan, des gens heureux, des vendeurs qui savent vous brosser dans le sens du poil. Bref un monde en dehors du temps de crise.
Dans ce grand hall, l'air est chaud comme aux Antilles imprégné de la poussière invisible de la veille d'un montage express. On ressent l'envie de naviguer vers de nouvelles conquêtes. L'aura d'une promesse quand on circule sur la moquette rouge du Nord au Sud et d'Ouest en Est, jamais perdu grâce aux grands logos suspendus de Bénéteau, Jeanneau, Dufour, Bavaria, Wauquiez.. et pas besoin de GPS pour se rendre au stand de "Mémédequercy".
C'est le jour de l'inauguration avec un petit groupe de Ministres, Présidents de fédération, marins vedettes, photographes qui patrouillent sur la moquette des grandes allées du salon salé et poivré. On reconnait l'aventurier Mike Horn qui se faufile dans ce 61eme salon nautique laissant sur son passage des portables tenues à bout de bras pour avoir l'instant magique du salon.
Ma première visite s'organise bien sûr sur le stand Jeanneau, Bénéteau et Wauquiez où je retrouve tous mes anciens collègues de boulot. Fred, Marc, Jean-Paul, Maya, Seb, Jean, Annie...Serrages de mains, embrassades et on refait le monde avec optimisme, nos navigations et les dernières rumeurs qui vont bon train sur le salon qui serait, c'est certain, le dernier des derniers. Bref, ça fait des années qu'on entend la même rengaine - un salon tous les deux ans - Fin du salon de Paris - Paris coute trop chère et de nombreux exposants le boudent par leur absence. Tant pis pour eux parce que selon les concessionnaires présents, leurs clients seront bien présents pour acheter un nouveau modèle plus puissant, plus moderne, plus performant, plus grand, plus équipé. Un café et on continue la visite.
La zone des financements bien léchée donne envie d'y faire escale. Plus loin, un gars nourrit aux hamburgers fait la promotion d'un nouveau style d'embarcation à moteur hybride tout en bougeant au rythme de ses paroles. De quoi avoir le mal de mer ! On retrouve les habituels stands comme dans un décor de cinéma hollywoodien. Un appel au micro grésille et de grands écrans suspendus font défiler des images de jeunes filles bronzées allongées sur des bateaux surpuissants ( 3 fois 300 cv) pilotés par le mygiver des Baléares. La file d'attente pour visiter les bateaux s'épaissit et les vendeurs de bateaux s'activent sur leur bic pour prendre les adresses et peut-être signer des bons de commande. Le salon est quand même fait pour çà. C'est la coutume à Paris de signer et d'arroser le nouveau venu. Une petite remise salon et hop le tour est joué. On continue à arpenter les allées du salon, serrant quelques mains d'amis retraités qui ont fait le déplacement pour concilier le salon avec la visite de Paris. Pas forcément pour acheter la merveille mais sur un coup de folie visiter le Hall 2 en passant par la passerelle voir les accastilleurs, voileries, stands de l'électronique embarquée, etc..pour se renseigner sur une nouvelle ancre, un paddle, des batteries au Lithium, un nouveau génois, un tout nouvel écran ou un moteur plus puissant tout en se disant qu'il faut acheter en respectant l'environnement. Les professionnels du nautisme ont bien compris le message et proposent des huiles bio, des lampes led encore plus basse consommation, des voiles en matière bio, des bateaux en résine recyclable, des moteurs hybrides et des matières éco- responsables sur tous les bateaux.
Notre virée nous conduit vers le stand des loueurs et des ports de plaisance de Bretagne, Normandie, Corse, Sicile, Espagne. On pense de suite à voir si leurs conditions de places de ports sont moins chères qu'en France. Je compare mais décide de laisser mon bateau à Valence. Tournant la tête, Un joli moth sur le stand SNT ( La Trinité sur mer) version light m'accroche l'oeil et je le contemple à distance, légèrement de biais pour l'imaginer sur ses foils. C'est presque une oeuvre d'art de 6 m de long. Je file mon chemin, les mains dans les poches, parfois sans s'arrêter pour ne pas réveiller un soupçon de désir au vendeur qui vous scrute dans le moindre détail. Le tour est presque terminé avec une étape au SHOM voir Gildas et une étape chez Voiles et Voiliers voir Didier pour finir sur le stand SNSM par respect au tradition. Toujours les mêmes rumeurs d'un dernier salon. On verra bien surtout que les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Et voilà, le tour est presque fait avant de passer dans un cabaret parisien avec des copains.