La pluie ne mouille que les cons.
Ni bonjour ni bonsoir. C’était pourtant un bonheur d’embarquer à bord de la Marie-Louise pour une traversée entre l'Ile de Ré et Lisbonne. L’ancre à pic, à quelques encablures du port, la jolie goélette danse sur l’eau vermeille comme une folle jeune fille impatiente aux yeux d’or, à la robe blanche et d’une élégance royale. Adrien avait répondu favorablement et en toute confiance à une petite annonce qui décrivait si bien l’ambiance romanesque d’une croisière estivale avec des passagers venant de plusieurs pays. Le voyage ne coutait que la nourriture et les frais de retour. Le Soleil brille au zénith et, aux premiers bords vers le large, Adrien n’a pas le mal de mer. La croisière d’une dizaine de jours s’était accompli avec une lenteur extreme mettant à bout de nerf le capitaine qui au fil du temps est devenu un grossier personnage. L’oeil éteint, pâle, mal fagoté, sale, serré dans son pantalon gris, il criait de toute ses forces pour commander une manoeuvre, relâcher une écoute en catastrophe, se faisait servir par les autres, buvait son bon vin ou déjeunait seul dans sa cabine. Jamais bonjour, jamais poli, jamais content, toujours agressif, toujours nerveux, que des reproches et il se comportait comme un ours mal léché. Tout l’équipage avait peur de lui surtout qu’aucun n’avait la science de piloter un tel bateau. Excédé, Adrien voulu débarquer au plus vite dans un port le plus proche. Il fut forcé de continuer ayant eu l’idée dans un moment de désespoir, de le menacer avec son couteau. Jamais plus ce genre d’odyssée pour Adrien et les autres.
Autre déconvenue. La veille d’un grand week-end d’été, un joli cotre français accoste au ponton d’un port de plaisance en Méditerranée, Marina baie des anges. Sans perdre une minute, le skipper saute sur la panne, déroule son fil électrique et se branche à une prise de quai en retirant celle du bateau d'en face. Aussi à l'aise qu'un renard dans une basse cour, il continue sa besogne en déroulant son tuyau d'eau et branche sans scrupule son tuyau à un embout piqué sur un autre compteur déjà occupé par un autre bateau. Ce bon Monsieur sans gêne, retourne à son bord et, comme si de rien n'était, se renferme dans son carré. Quelques minutes plus tard, le propriétaire du bateau à moteur à qui appartient tout ce matériel, s'aperçoit qu'il est privé de son confort et pousse des cris vers le "malotrus" digne du capitaine Haddock. Retour d'insultes sur le ponton. Et pour se faire justice, l’homme du bateau à moteur arrache les deux prises et coupe le tuyau en trois morceaux. Bon vous voyez déjà l’embrouille. Et oui, le sans gêne dans les ports deviendrait-il monnaie courante. Non, bien sûr. Il y a toujours eu une rivalité entre les voileux et les motoristes mais pas à ce point là. Il y a quand une même une solidarité entre tousses marins en cas de coups durs. Les voileux se considèrent souvent comme des passionnés et amoureux de la mer. La tradition veut qu'on respecte un minimum les usages entre tous les bateaux : le salut, la politesse et les bonnes manières.
Autre anecdote. Il est fréquent que nous ayons à marcher sur plusieurs bateaux pour atteindre le sien. Je me souviens à l’île d’Yeu à Port Joinville dans les années 90 où le port de plaisance ne pouvait pas accueillir tous les bateaux alors il fallait se mettre dans le bassin à écluse des chalutiers sur plusieurs rangées à couple jusqu'à 10 bateaux accrochés les uns aux autres. C’était souvent la foire d’empoigne pour passer d’un bateau à l’autre. Celui qui se trouvait le long du quai devait accepter de faire passer un troupeau sur son bateau. Au début, chacun faisait attention de ne pas déranger. A la fin, on assistait à de belles tirades entre celui qui refusait le droit de passage et ceux qui le forçait. Toutefois, la plupart du temps, ça finissait par s’arranger avec une bonne bouteille. Dans la pratique, il faut passer, chaussures à la main sur la plage avant et non par le cockpit pour respecter une certaine intimité, va sans dire. Cette coutume vient des britanniques et plus précisément du monde du yachting. Je rajouterais que dans nos bateaux plus récents, il faut en plus respecter l’intimité du bateau surtout que les panneaux de pont sont transparents ou bien ouverts en été. D’ailleurs, c’est aussi un piège la nuit quand on veut éteindre sa frontal pour se faire discret et, comme un vaudeville, se retrouver au fond de la cabine les deux pieds en avant entre Monsieur et Madame. Dans tous les cas, la nuit quand tout le monde dort, la meilleure solution pour respecter la vie d'autrui sans être voyeur ni bruyant c’est de revenir en annexe.
Histoire de pipi. Pour la faire courte, uriner par dessus bord doit se faire loin des regards indiscrets. Une affaire de dignité maritime ou plutôt de correction vis à vis des autres. Dans le temps de la vieille marine à voile, on disait que pisser au vent et même sous le vent était un privilège du capitaine. Aujourd'hui, c'est une activité courante de se libérer d’un besoin impérieux par dessus le pavois et c'est un art communicatif entre hommes accrochés au bastingage par une main. Et je ne parle pas de ceux qui sont tombés à la baille. Dans l’observance des rapports SNSM, il est dit qu'on retrouve la plupart des noyers avec la braguette ouverte. Pour éviter de mourrir bêtement, certains, plus prudents, prennent l'habitude d'avoir une main pour soi et l'autre main pour se tenir au bateau et, en cas de mauvais temps, ils s'attachent au bastingage. Pourtant, j’en ai vu des pisseurs amusants se hisser sur le balcon pour se donner en spectacle au milieu des bateaux en misant sur un pourcentage de chance de ne pas se faire remarquer. Sauf que, je me souviens d’un équipage d’anglais, des fêtards avec une bière à la main, le pantalon au genou, admirant la lune, sifflotant au vent en train de lancer leur jet artistique dans le port face aux restaurants. En l'occurence ce jour là, le cérémonial a duré longtemps. Un spectacle d’une élégance au plus bas de l’échelle qui a créé devant nous une belle émeute de petites vieilles dames. L'une d'elle s'est mise à filmer et s'en est allé à la police du quartier pour dénoncer le méfait. Plus une vidéo sur les réseaux sociaux. Au large, faîtes ce que vous voulez avec votre corps si vous aimez un mode de vie proche de la nature.
L'emmerdeur parfait. Dans le savoir-vivre, sur mer comme sur terre, il y a toujours les emmerdeurs chroniques qui sont en vacances pour vous pourrir la vie. L’obsessionnel qui s’en prend en permanence à celui qui fait griller des sardines pendant qu'il fait sa sieste, l’agressif qui gueule après celui qui joue de la musique sur le pont avant ou au chien qui aboie sur un bateau, le paranoïaque qui croit qu’il est surveillé par un bateau qui s’approche du sien, le maniaque qui râle après les enfants qui jouent dans l'eau ou après sa femme qui a raté l'amarrage. Ceux là, il faut s'en écarter au plus vite parce qu'il recherche le conflit. C'est leur but durant leurs vacances. Mais heureusement, la majorité des gens qui font du bateau sont plus cools, parce qu'ils sont détendus, de bonne humeur, des puristes, des passionnés, des généreux authentiques marins, solidaires en mer, forts convenables. Bref, des gens agréables à vivre même si la promiscuité est de plus en plus importante dans les ports et aux abords des côtes. Il faut vivre avec son temps. Sinon, la solution est de s'échapper pour aller naviguer vers les grands volcans aux Açores ou s’isoler au Spitsberg pour voir disparaître le soleil de minuit.
Continuons le folklore. Parlons des annexes qui pétaradent et ne ralentissent pas dans les mouillages! Encore de quoi énerver notre maniaque du silence. N’allez surtout pas dans les zones de bateaux à moteur qui ont des échappements libres. St Tropez par exemple. J’ai vu aussi des bateaux qui laissaient leur moteur tourner pendant plusieurs heures dans un beau mouillage pour recharger les batteries et, les propriétaires de ces unités qui refusaient de s’éloigner. Moins gênant mais tout aussi agaçant, les drisses qui carillonnent au vent toute la nuit.
Et autre problème du savoir-vivre en mer, les WC au mouillage. D’accord, pas pour ceux qui ont les fameuses cuves RAF (réservoirs à matières fécales) obligatoires sur tous les bateaux construits depuis janvier 2008. C’est une cuve reliée au WC qui permet de stocker les eaux usées et de les rejeter au large ou dans une marina moderne. Sur mon bateau de 1996, comme je n’avais pas cette cuve indispensable pour respecter l’environnement dans les mouillages aux eaux cristallines, j’ai acheté un WC portable sans additifs chimiques que je vide aux toilettes du port. Ce n'est pas très agréable mais au moins je protège nos beaux mouillages comme à Houat avec son eau bleue limpide où se retrouvent plus de 300 bateaux presque à touche-touche et autant de baigneurs.
Et enfin parlons-en des poubelles. Encore un casse-tête pour le plaisancier? Bouteilles, conserves, détritus qui se cumulent dans une poubelle trop petite et dans les coffres encombrés. Je me souviens d’une époque où on voyait des skippers donner un coup de manivelle de winch par dessus bord sur les canettes en verre pour la voir disparaitre gentiment au fond de la mer. C’était courant. Mais pas très écolo...
J'en passe et des meilleurs. Des moments de vie qui n'ont de mérite que la bêtise de certaines personnes. La pluie ne mouille que les cons, disent les Bretons.