Piloter et bronzer
Luigi, petit et trapu, avec sa tête ronde, la coiffure en pétard, les yeux marron foncé, passe des années dans son garage automobile, de 6 heures du matin à 21 heures du soir, à démonter des culasses, retaper des carrosseries, aspirer les tuyaux d’essence des pompes d’injection. Un jour, il déniche par hasard chez un de ses clients un magnifique classique en bois avec 20 couches de vernis qui a été accidenté sur le côté et dont les deux moteurs 8 cylindres en V Chevrolet de 250 cv se sont éteint avec l’âge. A la belle époque, ce Riva était la perle des Rolls-Royce des mers, la sublimité en acajou vernis, le bijou des chromes brillants, le phénix des cuirs cousus à la main. Luigi, pendant 20 ans, rêvait devant la photo noir et blanc grand format d’un Riva qu’il avait placardée au dessus de son atelier et tous les matins au moment du café, Luigi se voyait au volant de ce trésor des mers comme un enfant devant le sapin de Noel. Cette photo était prise sur le lac de Côme au pied des Alpes devant un petit village typique de pêcheurs avec un magnifique jardin verdoyant dont les reflets du soleil sur les arbres jetaient une ombre sur l’arrière plan. Le sillage du bateau était parfait et rectiligne sans émietter la pureté de l’eau. Dans les petits détails du bateau, on distingue le phare chromé à bâbord et le poste de pilotage à l’ancienne. Mais, il aimait particulièrement la ligne du bateau qui prenait presque toute la largeur de l’image et offrait une grandeur au regard. Non seulement il y avait une star au volant qu’il adorait en le regardant avec une certaine avidité mais en plus il était enthousiasmé par le moteur invisible sur la photo qu’il imaginait comme un bijou de précision que seul un spécialiste comme lui peut comprendre. Son rêve prendra forme avec la restauration de ce Riva providentiel de 1960. Il sait déjà qu’il faudra tout démonter et réparer mais il prendra le temps qu’il faut pour que les pièces d’origine soit toute révisées, nettoyées et remises à neuf. Dés qu’il aura un moment de blues, il regardera vers la photo pour se redonner le moral. Les catalogues de chez Riva imprimées de ses gros doigts huileux font partie de sa bibliothèque privée. Les yeux grands ouverts sur les pages des moteurs lamborghini, Cadillac, Chevrollet, les huit cylindres en V qui, au gré des modèles, passeront de 2 × 175 chevaux à 2 × 350 chevaux). Il passera trois belles années dans l’ombre de son petit atelier à restaurer ce bateau et sera récompensé par sa première navigation sur l’eau calme du lac comme sur la photo. Une belle histoire qui reflète parfaitement l’intérêt d’une personne qui a donné un sens à sa vie un peu monotone. La joie de retaper un bateau, la fascination pour la navigation et le bonheur de s’unir à un désir commun d’échapper à une existence qui nous fait vivre.