Souvenir en haute mer
J'étais sur pied de bon matin et sitôt avoir mangé un morceau et bu un mauvais café, dans le balancement de la grande houle de l'atlantique, je remplaçais mon fidèle compagnon de mer. Déjà 8 jours en course. Le soleil nous tournait le dos et ses rayons commençaient à me bruler la nuque. Nous glissions à plus de 12 noeuds sous spinnaker léger dans un vent soutenu d'Est sous de jolis petits nuages bien ronds. Quelque chose au fond de moi me disait que nous pourrions être bien placés dans cette transatlantique et sans me laisser gagner à de beaux espoirs, je me sentais heureux et paisible. Pourtant, J'avais encore en mémoire ma pire nuit à la barre sur ce petit voilier. Des frissons me faisaient encore frémir à l'idée de penser à ces mauvais moments. Très fatigué depuis le départ de Madères, n'arrivant pas bien à dormir pendant mon quart, cette nuit là, dans des vents violents, je croyais voir des monstres sortir des profondeurs. Des sortes de formes humaines qui chantaient parfaitement bien en chorale. J'avais beau m'écarquiller les yeux, la barre entre les mains, ces morts vivants me suivaient et glissaient dans le sillage du bateau battu par le vent fort d'un grain toutes les heures. Petit, j'avais toujours eu peur la nuit et mes frères me traitaient de trouillard. J'avais l'impression de devenir dingo. J'aurais aimé voir une belle sirène chantée avec sa harpe plutôt que d'être poursuivi par des monstres blancs qui sortaient de la mer. Le vent redoublait de fureur, puis semblait se calmer ce qui me permettait de scruter l'horizon à la recherche d'un protecteur mais reprenait de plus belle. Je luttais pour garder mon calme et ne pas réveiller mon compagnon de mer qui, lui, dormait profondément comme une marmotte. Dans un grain encore plus fort, le vent hurlait derrière moi. Une véritable crise d'angoisse, suivi d'un accès de fièvre causé par la peur, mon estomac craquait. La force du vent était insupportable mais il fallait que je reste accroché à la barre à plus de 15 noeuds dans les grandes descente d'une houle interminable. Je luttais seconde après seconde pour rester maître de moi malgré les hurlements des fantômes dans mon dos. Dans la crainte de la mer, je me mis à prier.. Notre père.. Encore deux heures à tenir avant la relève dans la tumultueuse horreur des hallucinations de cette nuit noire et hantée. Je plongeais dans un monde de ténèbres en regardant la mer qui tourbillonnait sous l'action des safrans. L'écume blanche se transformait en sorte de génie d'Aladin comme dans le film les milles et une nuits. Les vagues s'entrechoquaient contre la coque du bateau. L'écume jaillissait par dessus bord et se transformait en fantôme marin. Mon manque de sommeil pouvait être fatal pourtant je restais bien maître du bateau. Je me suis surpris à leur parler pour ne pas avoir peur. Dans les ténèbres rugissantes, tout devenait horrible même les étoiles dansaient au dessus da ma tête. Devant moi, j'entendais une voix humaine et un orchestre philharmonique. Aussitôt, le vent hurlait de plus beau dans les voiles sous un bruit de tambour propulsant le voilier au delà du raisonnable. Les haubans sifflaient et les violons relançaient la mesure. Je vois encore mon speedo frôler les 19 noeuds. Je maîtrisais parfaitement le voilier qui résistait à cette fureur. La mer s'engloutissait par l'étrave balayant lourdement le pont. Le fort rugissement du vent venait de faire apparaître de nouvelles silhouettes blanches à l'arrière dans une écume phosphorescente. Enfin, le calme était revenu et, le coeur serré, je cédais la barre à mon compagnon. A ma grande satisfaction, je n'avais pas mis le bateau au tapis. Plus tard, à l'arrivée (2eme) de cette transquadra en double en 2009, un autre skipper très connu me citait discrètement les mêmes hallucinations horribles. Mais chut, on n'en parle pas... En solo, 4 ans après, même transquadra, c'est le contraire, j'ai vécu en parfaite harmonie entre sommeil et navigation. D'ailleurs, Il parait qu'on dort moins bien en double qu'en solo pour la simple et bonne raison qu'on est plus inquiet pour la sécurité de son co-équipier... Vive le grand large.